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    L'huissier.

    « Monsieur Yves Lasfargues, directeur de recherche au CREFAC. »

    Le président.

    « On va vous demander de parler bien fort dans le micro parce que sinon le cyberspace a du mal à entendre.

    Quels sont vos nom, prénom, âge, profession et domicile ?

    -- Lasfargues, Yves, je suis formateur et j'habite Paris.

    -- Est-ce que vous connaissiez l'accusée Internet avant les faits qui lui sont reprochés ?

    -- Malheureusement oui.

    -- Est-ce que vous êtes parent ou allié avec elle ?

    -- Aucunement.

    -- Vous allez jurer de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité, rien que la vérité, vous levez la main droite et vous dites : je le jure.

    -- Je le jure !

    -- Monsieur l'expert… monsieur le témoin, puisque que vous êtes cité par la défense, pourquoi est-ce que vous utilisez Internet ? »

    Yves Lasfargues.

    « Je dirige un centre de formation dans lequel viennent un certain nombre de chômeurs et aujourd'hui, pour qu'un cadre au chômage retrouve un emploi, il a tout intérêt à utiliser Internet. Donc, je forme à l'utilisation de l'Internet et moi-même je l'utilise. Ce que j'ai pu constater, c'est un certain nombre de faits en relation avec le temps et avec l'espace.

    Premier type de faits, c'est la chronophagie d'Internet : Internet mange le temps, mange le temps de l'internaute. À quel moment ?

    Premier moment : celui de l'apprentissage. Internet fait dire partout qu'on peut apprendre en quelques minutes à l'utiliser. Ce qui est vrai : on apprend en quelques secondes à cliquer sur Internet. Mais, en fait, il faut des mois d'apprentissage pour savoir réellement l'utiliser. Donc, chronophagie au moment de l'apprentissage.

    Ensuite, quand on se met à l'utiliser de manière un peu professionnelle. On s'aperçoit que les moteurs de recherche sont très très très lents. Là encore, Internet mange le temps.

    On s'en aperçoit encore quand on veut télécharger des fichiers. Bien qu'on nous dise que ça va à la vitesse de la lumière, il faut des minutes et encore des minutes. Certains logiciels qu'on pourrait acheter pour quelques dizaines de francs dans la boutique d'à côté, et bien, il faut des heures pour les télécharger. Ce sont surtout des heures que l'on gaspille. J'ai pu constater -- notamment dans mon organisme de formation -- qu'un certain nombre de gens gaspillaient leur temps à télécharger ainsi des fichiers qu'ils auraient pu effectivement acheter dans la boutique d'à côté.

    Autre moment où on perd du temps et où Internet mange notre temps : quand on se met à lire un certain nombre d'éléments sur Internet. On s'aperçoit que pour lire le journal sur Internet, on met beaucoup beaucoup beaucoup plus de temps que pour aller le chercher dans la boutique d'à côté et le feuilleter dans son fauteuil.

    Le premier fait que j'ai constaté, c'est donc la chronophagie d'Internet. Le drame, c'est que la plupart des internautes, qui sont drogués par Internet, ne s'aperçoivent pas de ce fait et peut-être que tout à l'heure, vous entendrez d'autres que moi dire qu'en fait ils ne perdent pas de temps. C'est tout simplement parce qu'ils ne s'en aperçoivent pas.

    Deuxième fait que j'ai pu constater, à la fois sur moi-même et sur un grand nombre de gens dans les entreprises : Internet est un facteur de développement de l'ergostressie. Qu'est-ce que l'ergostressie ? C'est ce nouveau concept qui essaie de mesurer à la fois la charge physique du travail, sa charge mentale et sa charge cognitive.

    Quand on mesure cette ergostressie -- on peut trouver sur Internet des sites où il y a des systèmes experts de mesure d'ergostressie -- on s'aperçoit que le travailleur moyen a une ergostressie de force un ou deux sur une échelle de un à dix et que l'internaute a souvent une ergostressie de six à sept. C'est à dire que là encore, sans s'en apercevoir, son ergostressie augmente considérablement. Alors, pourquoi ne s'en aperçoit-il pas ?

    D'abord parce qu'il l'échange contre une partie de plaisir. Mais surtout, il faut constater que cette ergostressie est développée par des tas de facteurs et qu'Internet n'est qu'un de ces facteurs.

    Elle est développée par l'abstraction d'Internet. Quand on travaille sur Internet, on travaille sur la représentation de la réalité. Et cette représentation de la réalité, qui nous coupe de la vraie réalité, est un facteur de stress.

    On travaille en interactivité : cliquer comme une bête est un facteur de plaisir, mais c'est aussi un énorme facteur de stress. Il y a aussi des problèmes liés à la vulnérabilité du système : quand on utilise Internet, de temps en temps, cela fonctionne. Certains disent même : j'ai vu Internet tomber en marche. De temps en temps cela fonctionne, le plus souvent ça tombe en panne. Le stress arrive lorsqu'on se demande est-ce que c'est moi qui l'ai mis en panne ? Est-ce que c'est mon fournisseur d'accès ? Est-ce que c'est mon micro-ordinateur ? Peu à peu, l'utilisation grandissant, le stress grandit et l'ergostressie avec. Ce n'est pas tout.

    La fatigue physique concernant l'utilisation d'Internet est extrêmement élevée. Au départ, on se dit qu'on est assis, donc qu'on n'est pas fatigué. Mais après douze ou treize heures de manipulation d'Internet, non seulement on est fatigué mais en plus, on a les bras qui tremblent parce qu'on a cliqué comme une bête sur la souris, parce qu'on a les yeux attirés par l'écran.

    On s'aperçoit que l'ergostressie des internautes est très nettement supérieure à celle du travailleur moyen. Quand on regarde réellement un internaute travailler, on s'aperçoit que si l'Homme a mis quarante millions d'années pour passer de la position à quatre pattes à la position debout, l'internaute a mis moins de dix ans à s'asseoir et probablement qu'il en mettra moins de cinq à s'allonger, parce que tout montre que, sur le plan ergonomique, on est beaucoup mieux allongé qu'assis pour consulter Internet.

    Je crois donc que le drame d'Internet est que c'est à la fois un facteur de chronophagie et à la fois un facteur d'ergostressie . Cela touche non seulement ceux que l'on pourrait appeler les technopathes -- c'est-à-dire les handicapés de la technique, qui ont un peu de mal à se débrouiller -- mais cela touche aussi particulièrement les cyber mordus qui ont une forte tendance -- j'ai pu le constater monsieur le président -- à devenir des cyber niais, tout simplement parce qu'ils passent trop de temps devant Internet.

    Voilà ce que j'ai pu constater à la fois dans les entreprises et lors de la formation de centaines d'internautes. »

    Le président.

    « Bien, monsieur le témoin, on vous remercie. On a convenu de poser les questions globalement après les dépositions. Je vous demande de bien vouloir vous asseoir à côté du banc de la partie civile et on va demander à l'autre témoin ou expert technique… Oui… allez-y ! C'est l'expert technique. »

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Audition de Yves Lasfargues
Accueil Rétrospective Procès Loi OnTheInternet Pics Contact
Avant-propos
Introduction
Chefs d'inculpation
Inculpation 1
Jury
Partie civile
Témoins, experts
Interrogatoire
Lecture de l'acte
Demande report
A. Miller
Q. Miller
A. Lasfargues
A. Soriano
A. Jousselin
Q. témoins
Pièces
Reprise
Partie civile
Avocat général
Défense
Inculpation 2
Lecture de l'acte
Témoins, experts
A. Guglielmi
A. Aumont
Q. témoins
A. Pouzin
A. Georges
Q. témoins
Partie civile
Avocat général
Défense
Accusé
Verdict
Inculpation 3
Jury
Lecture de l'acte
Interrogatoire
Pièces
Témoins, experts
A. Mathias
A. Martin Lalande
A. Léon
A. Pélissier
A. Godin
Q. témoins
Partie civile
Avocat général
Défense
Inculpation 4
Lecture de l'acte
Témoins, experts
Pièces
A. Villain
A. Beaussant
A. Novaro
A. Soubeyrand
Q. témoins
Partie civile
Partie civile
Avocat général
Défense
Clôture
Verdict, sentence
Mot de la fin
Interventions
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