Sonnerie.
L'huissier.
« La cour. »
Le président.
« La session de la cour d'assises virtuelle est ouverte vous pouvez vous asseoir.
Sont présents dans cette enceinte judiciaire -- outre la cour :
son président et les deux assesseurs -- le ministère public qui est à notre droite et à votre gauche, le greffier qui est à notre gauche et à votre droite ainsi que les avocats de la défense et les avocats de la partie civile.
Garde, faites entrer l'accusé. »
Une jeune fille entre avec un gendarme. Elle incarne Internet dans ce procès. Le garde retire les menottes à l'accusé.
« Je vais vous demander votre nom, votre prénom.
-- Nom Internet, prénom e-toile.
-- Votre âge ?
-- Je suis née en 1972.
-- Quelle est votre activité ?
-- Je suis là pour relier plus facilement les individus entre eux, pour faciliter leurs loisirs, leur travail et leur vie quotidienne.
-- Quel est votre domicile ?
-- Le cyber espace.
-- Vous pouvez vous asseoir. La cour va procéder à l'appel de mesdames et messieurs les jurés. Les jurés qui sont présents dans la salle se lèveront à l'appel de leur nom et viendront, s'ils ne sont récusés ni par le ministère public, ni par la défense, prendre place au côté de la cour. Je rappelle à l'accusée qu'elle a droit à cinq récusations, je rappelle au ministère public qu'il a droit à quatre récusations…
Monsieur Pierre-André Billote, président du groupe Ténor. Venez nous rejoindre, par ici, passez par ici derrière la greffière. Venez prendre place à côté du premier assesseur.
Monsieur Arnaud Brunet, responsable juridique d'IBM Europe. Passez à côté de la greffière également.
Monsieur Vinton Cerf, vice-président de MCI.
-- Récusé !
-- Récusé par l'accusation.
Monsieur Daniel Duthil, président de l'Agence de Protection des Programmes. Prenez à gauche monsieur.
Monsieur Bill Gates, président de Microsoft International.
-- Récusé, monsieur le président !
-- Récusé par la défense. »
Quelques rires fusent de la salle.
« Je rappelle que les récusations n'ont pas à être motivées. »
Quelques rires supplémentaires
« Madame Yasmine Kaplun, responsable juridique de Club Internet.
Madame Michèle Lemeur, Union Française du Multimédia. Passez par-là…
Monsieur Philippe Lucet, de VECAM.
Monsieur David Lussigny, étudiant HEC.
Madame Laurence Males, de la direction du département Formation de Francis Lefèvre.
On va tirer au sort également deux jurés supplémentaires, qui délibèreront si un des jurés a une défaillance. Il en manque un ? Nous avons donc encore un juré titulaire : madame Bénédicte Poisson, société Dalloz, rédactrice de code, au singulier ou au pluriel.
Et donc, juré supplémentaire : monsieur Michel Vivant, professeur de droit à Montpellier. Il n'est pas là ?
Pas d'observation des avocats ni du ministère public sur la composition du jury ? »
Les avocats de la défense se lèvent et signifient leur accord.
L'avocat de la partie civile.
« Une observation si vous le permettez, monsieur le président. Je crois qu'il y a dix jurés. Ce qui me semble être un de trop, ce qui ne me gêne pas personnellement, mais en revanche ce que la partie civile… »
Un avocat de la défense.
« C'est un juré supplémentaire, monsieur le président ! »
L'avocat de la partie civile.
« Non, ce n'est pas un juré supplémentaire… Si ? ! »
Le président fait remarquer à l'avocat qu'il compte neuf jurés. L'avocat de la partie civile explique sa méprise au président.
« Pardon mais j'ai d'habitude de voir les greffiers en robe.
-- Vous avez confondu un juré et un greffier.
-- D'habitude ils sont en robe, c'est pour ça…
-- Elle s'est dérobée !
-- Bien, un autre problème qui me paraît, celui-là, autrement sérieux… Parce que le nombre de jurés, ce n'est pas très grave, et je dirais que je ne m'intéresse pas à la vie privée de chacun d'entre eux, et je ne vous demanderai pas si l'habitude de l'un ou de l'autre est un site Internet ou pas…
Mais en revanche, quand j'ai entendu la lecture de cette liste -- qui n'a pas été vérifiée, c'est pour ça que je suis allé tout à l'heure au greffe central de la cour d'assises -- d'une liste qui a été proposée apparemment dans des conditions… suspectes, et que je vois dans le programme de la cour d'assises que, monsieur le président, vous êtes devenu un internaute très récemment, je m'inquiète pour l'équité de ce procès. On sait bien que les convertis récents sont en général des convertis pleins de fougue, et c'est pourquoi j'ai l'honneur de déposer un donner acte, sur le fondement de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, en considérant que ce procès ne sera pas équitable pour les parties civiles que je représente. »
Le président.
« Bien, la cour vous donne acte de toutes les réserves que vous faites, vous pourrez faire utilement un pourvoi en cassation à la suite de cet arrêt. Elle tient à vous assurer que l'on peut être internaute et impartial, ce ne sont pas deux qualités qui sont contradictoires.
Pas d'observation du ministère public ou de la défense ? »
Un avocat de la défense.
« Cette digression me paraît toute virtuelle… »
Le président.
« Ha ! Bien, je déclare le jury définitivement constitué.
Mesdames et messieurs les jurés, veuillez vous lever, la cour va recevoir votre serment, et après la lecture de la formule complète qui sera donnée, vous lèverez ensemble la main droite et vous direz : je le jure.
Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre l'accusé Internet, de ne trahir ni les intérêts de l'accusé ni ceux de la société qui l'accuse, de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration, de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection, de vous décidez d'après les charges, les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à des hommes et des femmes probes et libres et de conserver le secret des délibérations mêmes après la cessation de vos fonctions. Vous levez tous la main droite et d'une seule voix, vous dites : je le jure.
-- Je le jure !
-- Vous pouvez vous asseoir. Je vous donne acte du serment que vous avez prêté et je déclare le jury définitivement constitué. Mesdames et messieurs les jurés, je vous rappelle qu'il est interdit de communiquer avec des personnes du dehors sur les faits du procès, que vous ne devez jamais manifester votre opinion durant les débats, ni par des paroles, ni par des gestes, ni par des mimiques, ni par des attitudes, que vous avez le droit de prendre des notes sur tout ce qui vous paraît important, par exemple sur les dépositions des témoins, des experts et de l'accusé dans sa défense, pourvu que les débats ne soient point interrompus. Vous avez également le droit, après m'en avoir fait la demande, de poser des questions à l'accusé ou aux experts ou aux témoins mais vous ne pouvez le faire qu'en des termes qui ne révèlent pas votre pensée sur la culpabilité ou la non-culpabilité de l'accusé. »
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