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    Le président.

    « La parole est à la défense. »

    L'avocat de la défense.

    « Monsieur le président, madame, monsieur de la cour, mesdames, messieurs du jury.

    La plaidoirie pourrait être courte. Nous sommes là : où est le temps assassiné ? Nous sommes là : où est l'espace assassiné ? Nous sommes là depuis trois heures. Nous sommes faits de chair, nous sommes faits de sang, nous sommes faits d'un cerveau, nous sommes faits de connaissances, nous sommes physiquement là. Il n'y a pas d'assassinat, il n'y a pas d'abolition, et quand bien même il y aurait abolition, qu'est-ce que l'abolition ?

    L'abolition c'est un gain, c'est une liberté supplémentaire gagnée, c'est la fin de contraintes odieuses. L'abolition de la peine de mort est un gain. L'abolition de l'esclavage est une liberté retrouvée, la fin d'une contrainte, d'une contrainte que l'Homme ne pouvait supporter. Alors, oui ! Oui, d'une certaine manière il y a abolition du temps, abolition de l'espace… pourquoi ? Parce que, comme vous l'a dit tout à l'heure mon confrère, depuis qu'il y a des Hommes -- depuis qu'il y a des Hommes et que les Hommes pensent -- ils veulent faire une chose : échanger. Et justement Internet, ma cliente, permet cet échange. Mais Internet, ne l'oubliez jamais, n'est qu'un outil. Internet est un média, est un ensemble de techniques, manipulé par quelqu'un, manipulé par un homme, par une femme, par un internaute, manipulé par quelqu'un comme nous. Et c'est nous-mêmes…, c'est nous-mêmes qui faisons de l'Internet ce qu'il est aujourd'hui.

    Alors, vous pouvez juger l'Internet mais n'oubliez jamais une chose : c'est vous-même que vous êtes en train de juger. Vous êtes en train de juger les internautes, les femmes, les hommes et les générations futures qui ont cette soif, toujours renouvelée, d'échanger et de communiquer.

    Internet, c'est notre mémoire. C'est la mémoire du temps, c'est la mémoire de l'Homme, c'est la mémoire démocratisée. Internet, c'est la possibilité pour chacun -- en une fraction de seconde, sans avoir à subir les frais d'une recherche, les frais d'un déplacement onéreux -- de contempler les pyramides, de pouvoir lire les mémoires de Léonard de Vinci, tout ça en en discutant dans un temps asynchrone avec d'autres Hommes. Le procès qu'on est en train de faire est celui de la liberté, celui de la démocratie, celui du partage de la connaissance.

    Alors je comprends bien que le temps et l'espace viennent ici vous dire que cette situation est horrible. Effectivement elle est horrible, parce que c'est la fin d'un monopole : le monopole du temps, le monopole de l'espace sur les Hommes. Je veux, je souhaite que ce monopole soit brisé !

    Chacun de nous a le droit à la connaissance, au voyage, au franchissement des barrières spatio-temporelles. Chacun de nous doit être un visiteur des couloirs du temps, chacun de nous doit voyager libre, sans contrainte pour échanger. Quoi de plus jouissif, quoi de plus obsessionnel effectivement que le partage, le don du temps, ce don de notre temps pour les autres.

    Il existe plusieurs types de temps. On vous a parlé d'un temps technique, synchrone ou asynchrone, il existe un temps politique, celui du pouvoir, il ne dure d'ailleurs souvent qu'un temps ! Il existe un temps économique -- aussi celui du pouvoir -- et il existe aujourd'hui désormais pour chacun de nous, un temps plaisir, un temps don, un temps échange. Oui ! Je veux connaître mon prochain, échanger, accéder à la connaissance et, comme vous ont dit les témoins, donner mon temps, partager mon temps.

    Aujourd'hui, il existe désormais un temps plaisir et c'est l'Internet qui vous l'offre. Vous être donc vous -- les Hommes -- je suis donc moi aussi, en possession d'un arc-en-ciel… d'un arc-en-ciel de temps. Qu'est plus beau que la vision d'un arc-en-ciel après la pluie ? C'est aujourd'hui ce que vous avez devant vos yeux, votre création, votre média, celui que vous avez créé, celui que vous continuerez à créer parce que vous allez l'enrichir, cet arc-en-ciel du temps.

    Vous avez à votre disposition tous ces temps -- pouvoir de connaissance, le temps économique pour donner son temps, le temps politique pour avoir le pouvoir -- pour finalement n'avoir qu'un seul temps : le temps du plaisir.

    L'espace maintenant ! L'espace n'appartient à personne, il appartient à tout le monde, c'est-à-dire à chacun de nous. Vous pouvez le franchir, vous pouvez pénétrer dans ce troisième monde, ce deuxième monde, cette quatrième dimension ou cette sixième dimension. Tout cela vous appartient parce que tout appartient à l'Homme, rien n'appartient au temps, rien n'appartient à l'espace. Tout vous appartient, prenez-le, Internet vous permet cette appropriation qui ne doit pas être privative mais bien partagée.

    Alors, on vous a parlé de crime qu'on tente d'imputer, un assassinat… où est le corps ? Une abolition, et je vous dis que c'est un gain. Et l'on vous parle encore d'une chose, inique dans ce procès en sorcellerie, inique dans ce procès contre la démocratie : une préméditation.

    Qu'est-ce qu'une préméditation ? Une préméditation c'est une chose simple : c'est le dessein formé avant l'action d'attenter à un individu déterminé. Aujourd'hui, dans le dossier de l'accusation qui est plus que virtuel, il n'y a pas de dessein, il y a un souhait. Il n'y a pas de dessein qui soit antérieur à l'action. Il y a un dessein qui est concomitant et il n'y a pas, surtout, de volonté d'attenter à un individu déterminé, mais bien évidemment tout le contraire. Il y a le souhait de permettre à des individus -- à l'origine, par non-connaissance -- indéterminés, de justement se déterminer eux-mêmes, par rapport à leurs propres ressentis, par rapport à leurs connaissances, par rapport aux autres. Ce rapport à l'autre fera tomber bien évidemment toute cette notion -- toute cette notion inique -- de préméditation.

    Je vous le dis : ne vous trompez pas de procès ! Si vous prononcez le mot de condamnation à l'encontre de l'Internet, c'est vous-mêmes qui serez condamnés, vous vous jugerez vous-mêmes. L'Homme n'est que l'initiateur de ce projet.

    Évidemment ! Évidemment, certains… certains, en caressant une souris, peuvent ressentir quelques plaisirs et franchir des limites que nous jugeons, nous autres, infranchissables. Ceux-là ne doivent pas être exclus du bénéfice de l'Internet. Donner son temps, partager son temps, échanger des connaissances, apprendre des connaissances, tout cela s'éduque effectivement. Mais cette éducation ce n'est pas aux médias de la faire : c'est à l'Homme lui-même !

    Je voudrais simplement terminer pour vous rappeler l'importance de votre tâche, vous, membres du jury qui aujourd'hui devez trancher en âme et conscience. Si vous condamnez l'Internet, vous condamnez l'homme… la femme… l'internaute que vous êtes ou que vous serez. Ne soyez surtout pas semblables à ceux qui jadis ont condamné Galilée. Et pourtant elle tourne ! Et pourtant le monde existe ! Et pourtant le monde est en marche ! Vous êtes ce monde, prenez-le !

    Enfin, je voudrais me permettre de vous suggérer quelques questions à vous poser lors de votre délibéré.

    La première des questions qu'il faudra vous poser est la suivante. Êtes-vous prêt à répondre à vos enfants, êtes-vous prêt à répondre à des internautes qui vous poseront cette question : est-ce toi mon père, est-ce toi ma mère qui, en ce jour de mars 1998, a bâillonné la liberté, a empêché l'Homme d'apprendre, a empêché l'Homme de connaître, a empêché l'Homme de communiquer, de donner son temps ? Es-tu celui-là ?

    Et la deuxième question à laquelle vous aurez à répondre -- la deuxième chose que vous aurez à supporter -- c'est son regard, son regard après lui avoir répondu : oui, c'est moi cet homme en mars 1998 qui ait bâillonné la liberté.

    Vous n'êtes pas de ceux-là, j'en suis convaincu ! La direction vers laquelle vous irez sera celle du progrès, de la modernité, de la marche de l'Homme, parce que de tout temps il existe des Hommes qui pensent et qui veulent échanger.

    Alors, aujourd'hui je vous le dis, la décision est limpide : vous prononcerez un acquittement, un acquittement en âme et conscience. Et soyez bien sûr que cet acquittement sera réel. Il ne s'agit nullement d'une décision virtuelle que vous devez prendre. Cet acquittement s'inscrira dans notre réalité, dans votre réalité. »

    Le président.

    « La cour vous remercie maître.

    Pour bien préciser les choses à l'égard de mesdames et messieurs les jurés : nous avons étudié ce matin l'imputation de deux crimes à l'accusée, qui sont consécutifs.

    Premier crime : l'abolition du temps avec deux circonstances aggravantes, la préméditation et l'usage d'armes. Deuxième crime : la réduction de la distance avec deux circonstances aggravantes, la préméditation et l'usage d'armes.

    Je donnerai ce soir la parole à l'accusée avant qu'on se retire pour délibérer. Dans l'attente de l'examen des deuxièmes chefs de prévention pour lesquels l'accusée est poursuivie, je propose que, selon la formule consacrée, pour le repos de la cour, du jury et de l'accusée, l'audience soit suspendue et reprenne à 14 h.

    L'audience est suspendue ! »

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Plaidoirie de la défense
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Avant-propos
Introduction
Chefs d'inculpation
Inculpation 1
Jury
Partie civile
Témoins, experts
Interrogatoire
Lecture de l'acte
Demande report
A. Miller
Q. Miller
A. Lasfargues
A. Soriano
A. Jousselin
Q. témoins
Pièces
Reprise
Partie civile
Avocat général
Défense
Inculpation 2
Lecture de l'acte
Témoins, experts
A. Guglielmi
A. Aumont
Q. témoins
A. Pouzin
A. Georges
Q. témoins
Partie civile
Avocat général
Défense
Accusé
Verdict
Inculpation 3
Jury
Lecture de l'acte
Interrogatoire
Pièces
Témoins, experts
A. Mathias
A. Martin Lalande
A. Léon
A. Pélissier
A. Godin
Q. témoins
Partie civile
Avocat général
Défense
Inculpation 4
Lecture de l'acte
Témoins, experts
Pièces
A. Villain
A. Beaussant
A. Novaro
A. Soubeyrand
Q. témoins
Partie civile
Partie civile
Avocat général
Défense
Clôture
Verdict, sentence
Mot de la fin
Interventions
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