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    Le président.

    « L'audience est reprise, vous pouvez vous asseoir. Faites entrer l'accusée. La parole est aux libertés publiques qui sont parties civiles, je crois. »

    L'avocat de la partie civile.

    « Monsieur le président, messieurs les assesseurs, messieurs les jurés, je suis la Liberté, sans flambeau ni couronne. Simplement la Liberté. Parce que je suis la Liberté, je prends -- contre les usages -- la liberté de m'adresser au ministère public.

    Monsieur l'avocat général, partie civile je suis et je crains que de pas être aujourd'hui votre allié dans l'accusation, mais votre adversaire. J'attends vos réquisitions contre l'accusée avec la sévérité que nous espérons. Vous lui reprocherez comme nous, ses fréquentations détestables, ses cyber punks, ses hackers, ses crackers ou pire encore d'être l'agent d'escrocs de tous poils, des pédophiles et de leurs vices, des révisionnistes et autres nostalgiques écervelés du troisième Reich.

    Tout cela est vrai, et pourtant j'affirme : ce n'est que masque ! Ce n'est que faux nez ! Tout ça pour cacher le véritable crime de l'accusée, celui-là plus grave et odieux, dont nous sommes tous ici les victimes. Je veux aujourd'hui que les masques tombent, Internet est un agent double ! Elle est la complice du complot le plus terrible : celui contre les libertés publiques. Un complot qui vise à anéantir deux siècles de lutte dans le sang, le sang versé pour les libertés fondamentales, le droit au respect de la vie privée, de l'anonymat, de l'intimité des communications.

    Mais enfin pour qui nous prenez-vous Internet ? Non, ce n'est pas cette petite étudiante américaine qui prétend vous faire rêver autour du monde ! Hélas, nous nous sommes laissés prendre dans le silence et la pénombre de la nuit venue. Nous l'avons embrassée sans retenue, nous lui avons dit nos secrets, nous nous sommes mis à nu. Mais ses baisers étaient empoisonnés. Hypnotisés, nous n'avons pas vu le micro qu'elle portait dans ses dessous. Alors que nous parlions, les bandes enregistreuses tournaient, là, au bas de la rue, dans ce camion ! Et que l'on ne vienne pas nous parler de déontologie : les vertus se perdent dans l'intérêt, les libertés se briseront sur le mur de l'argent. Nous n'avons vraiment pas vu qu'elle était fille d'Arpanet, elle-même fille de Milnet -- Military Network -- et que ses parents demeurent à Fort Meade dans le Maryland, siège de la National Security Agency. Elle est fille d'un docteur Folamour qui a présidé à ses destinées, la laisserons-nous avoir la même emprise sur les nôtres ?

    Internautes, la NSA américaine vous écoute, le SVR russe vous voit à chaque instant, la DST française vous piste dans vos voyages sur le Net, le Mossad vous suit dans vos news groups, les Renseignements Généraux lisent vos emails par-dessus votre épaule. Nous sommes fichés, nous sommes catalogués, nous sommes violés, nous sommes disséqués et cette vivisection est celle des libertés !

    Le Net est le plus grand champ de bataille de la guerre implacable du renseignement. Le temps des plombiers, des bretelles et des petites cellules est révolu depuis longtemps. Nous sommes aujourd'hui dans le temps numérique, de l'analyse plein texte, des moteurs de recherche capables d'épier le Net tout entier à la même seconde. Il n'y a pas de droit à la vie privée sur le Net, ni de jardin secret, ni de cimetière caché. On voudrait qu'aucun instant de notre vie n'échappe à l'accusée.

    Je vous demande ma liberté, la vôtre, mesdames et messieurs les jurés, celle du monde. Je vous l'échange contre celle de l'accusée.

    Non, il n'est pas trop tard car Internet n'a pas encore supplanté les libertés, nombreux sont les résistants. Nombreux sont les résistants à l'œil de Washington, de Paris ou d'ailleurs. Des armées entières d'internautes sont entrées dans la clandestinité, celle de la cryptologie, mais ils manquent de vivres et de munitions et enfin de soutien. Cette cryptologie qu'on nous refuse à nous tous, ces logiciels qui, comme vous le savez, permettent de rendre confidentielles nos communications, ces enveloppes qu'on met sur nos propos, cela, on nous l'interdit, que ce soient les petits ou que ce soient les grands logiciels et notamment celui que de plus en plus d'entre nous possèdent et qui, je crois, est un véritable rempart contre la tyrannie, je veux parler de Pretty Good Privacy , le fameux PGP !

    J'entends déjà la défense invoquer la sécurité et l'ordre publique, vous assurer que tout ça n'est que chimère sortie de mon imagination écorchée, que les textes réglementent déjà les interceptions de sécurité et le traitement des informations nominatives. On vous dira sûrement que la partie civile accuse sans prouver et que je ne représente qu'un groupuscule de libertaires paranoïaques. Mensonges ! Mensonges ! Mensonges !

    Car je le dis, pourquoi nos gouvernants nous interdisent-ils l'utilisation de ces crypto-systèmes ? Pourquoi, si ce n'est pour nous épier plus librement. Car en effet, va-t-on interdire les enveloppes parce qu'une petite barrette de hash devrait être envoyée par la Poste, mesdames et messieurs les députés ? Va-t-on briser nos portes parce qu'un terroriste pourrait se cacher dans la maison ou nous obliger -- c'est ce l'on nous demande aujourd'hui -- de déposer nos clés au commissariat ?

    Non, tout ça n'est qu'hypocrisie ! Comment osez-vous prétendre contrôler les écoutes quand un courrier électronique pour aller de l'Opéra à la Madeleine va peut-être passer par l'Ohio, par le Michigan ou par Singapour ?

    Internet est totalitaire. Mais je crois qu'il n'est pas trop tard encore, mesdames et messieurs les jurés pour que vous fassiez échec à ce complot horrible, complot des États contre les individus. Oui, dressons-nous aujourd'hui contre la tyrannie !

    Soldats de Valmy, combattants de la Commune, maquisards du Vercors, êtes-vous morts pour rien ? J'entends encore les cent un coups de canon de la Commune de Paris. Je sens la sueur et le sang des tranchées. Ma rétine conserve encore le souvenir de ceux d'Espagne, de Hambourg, de Bir Hakeim, des plaines d'Ukraine, de Tchétchènie, dans les montagnes afghanes, de leurs souffrances immenses et de leurs peurs indicibles. Leur sacrifice enfin, pour que vive l'Homme libre !

    Voilà pourquoi, avec les inventeurs des Droits de l'Homme, ceux qui ont rédigé la Déclaration des Droits de l'Homme, je dis : pas de Liberté pour les ennemis de la Liberté ! »

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Plaidoirie de la partie civile
Accueil Rétrospective Procès Loi OnTheInternet Pics Contact
Avant-propos
Introduction
Chefs d'inculpation
Inculpation 1
Jury
Partie civile
Témoins, experts
Interrogatoire
Lecture de l'acte
Demande report
A. Miller
Q. Miller
A. Lasfargues
A. Soriano
A. Jousselin
Q. témoins
Pièces
Reprise
Partie civile
Avocat général
Défense
Inculpation 2
Lecture de l'acte
Témoins, experts
A. Guglielmi
A. Aumont
Q. témoins
A. Pouzin
A. Georges
Q. témoins
Partie civile
Avocat général
Défense
Accusé
Verdict
Inculpation 3
Jury
Lecture de l'acte
Interrogatoire
Pièces
Témoins, experts
A. Mathias
A. Martin Lalande
A. Léon
A. Pélissier
A. Godin
Q. témoins
Partie civile
Avocat général
Défense
Inculpation 4
Lecture de l'acte
Témoins, experts
Pièces
A. Villain
A. Beaussant
A. Novaro
A. Soubeyrand
Q. témoins
Partie civile
Partie civile
Avocat général
Défense
Clôture
Verdict, sentence
Mot de la fin
Interventions
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