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    Le président.

    « Approchez messieurs les experts, on va vous poser des questions. On reproche à l'accusée de porter gravement atteinte aux libertés. Ce qui est intéressant dans vos deux témoignages, c'est qu'il y a deux approches du danger sur les libertés.

    Il y a une approche qui est une approche juridique, qui consiste à dire : il faut réglementer, il faut que les pouvoirs publics fassent quelque chose et il y a une approche technique.

    L'approche réglementaire, on voit à peu près ce que cela peut être. Est-ce qu'il y a une approche technique qui pourrait permettre d'éviter ce que vous venez de dénoncer monsieur l'expert ? »

    Serge Aumont.

    « Il me semble que c'est la dimension économique qui va primer. Au plan technique, on sait crypter, on sait signer des messages, par exemple pour responsabiliser les gens qui les émettent.

    En France, les techniques de cryptage et de signature sont étroitement contingentées par le droit, leur usage est extrêmement difficile. C'est le cas dans d'autres pays. On voit les législations sur le cryptage évoluer sous la pression du commerce électronique, dans des domaines où nous, on n'a pas réussi à les faire évoluer pour la recherche. On voit bien que les intérêts économiques priment. Et d'ailleurs, c'est là où je suis assez pessimiste : ils priment devant la liberté des personnes. »

    Le président.

    « Monsieur l'expert, sur l'approche juridique, c'est une approche réglementaire que vous envisagiez vous-même ? »

    Gilles Guglielmi.

    « Je pense qu'en matière de libertés publiques, on ne peut pas se contenter d'une approche réglementaire. Il faut qu'il y ait une loi ou des lois, ce qui a l'avantage, d'une part d'être conforme aux principes d'organisation des libertés publiques, mais aussi de provoquer un débat clair et net dans une enceinte qui est effectivement compétente pour le faire -- dans une enceinte, donc, politique. »

    Le président.

    « Est-ce qu'il y a des questions des parties civiles aux deux experts, à l'un ou à l'autre. Parties civiles ? »

    Un avocat des parties civiles.

    « Alors que dans ce pays on s'est battu pour la liberté au cri de la liberté ou la mort, je voudrais essayer de comprendre. Est-ce qu'aujourd'hui les caciques d'Internet nous disent : ou vous vous connectez… ou vous mourrez ? Est-ce que ce serait maintenant la connexion ou la mort -- la mort civile ? »

    Gilles Guglielmi.

    « L'exemple que j'ai donné tout à l'heure à propos de l'inscription universitaire est un exemple type. Aujourd'hui, soit on se connecte au Minitel, soit on n'est pas inscrit à l'université. Et bien demain, soit on se connecte à Internet, soit on n'est pas connecté et on n'est pas candidat aux concours de la fonction publique, par exemple.

    C'est-à-dire qu'il peut y avoir des blocages qui soient dus uniquement à l'utilisation de l'outil. Je crois que ce qui est le plus frappant dans cette question et dans la remarque qui avait été faite par l'autre témoin, c'est que l'on est mis devant le choix de conserver l'outil avec des violations majeures des libertés publiques ou bien de ne pas l'avoir et de se trouver dans une situation d'exclusion intellectuelle ou sociale. »

    Le président.

    « À votre connaissance, vous qui êtes universitaire, y a-t-il d'autres pays qui ont réussi à juguler ce risque réglementaire mieux que le nôtre qui semblerait être un peu en retard dans ce domaine ?

    -- Je n'en connais pas… »

    Le président.

    « D'autres questions des parties civiles ? »

    L'autre avocat des parties civiles.

    « J'aurais aimé savoir si c'est bien l'argent qui mène Internet.

    -- Alors là, il y a une réponse technique et juridique peut-être… »

    Serge Aumont.

    « C'est une légende que de penser que l'Internet est un lieu gratuit. Vous savez bien que tout a un coût dans nos sociétés ! L'organisation de ce procès a un coût, les accès Internet et les serveurs Internet, dans leur énorme majorité, sont à buts commerciaux.

    Quand on vous propose un moteur de recherche gratuitement, quand vous imaginez le travail technique qu'il y a derrière, il faut vous poser immédiatement la question où est l'intérêt des gens qui installent ça ? Le monde ne vit pas de publicité, il faut qu'à un moment donné, cette publicité se transforme en profit. C'est une logique capitaliste qui, je crois, échappe à la technique.

    Je connais des serveurs qui vendent des bases de données nominatives, des profils. Il y en a dont c'est l'activité principale basée, par exemple, sur les cookies. Ils ont de plus en plus d'ennuis techniques parce que cela évolue, mais ils se replieront sur d'autres techniques. »

    Le président.

    « Pas de complément sur cette question ? Pas d'autre question de la partie civile ? Monsieur l'avocat général, avez-vous d'autres questions à poser aux témoins ? »

    L'avocat général.

    « Monsieur le président, des questions techniques très brèves.

    Je voudrais savoir s'il existe actuellement un moyen technique pour se protéger des spams, pour empêcher qu'ils viennent dans les boîtes aux lettres et, secundo, une question qui concerne plus les visites des sites Web : est-ce qu'il existe des moyens actuellement ouverts au grand public qui -- exactement comme DejaNews permet de voir les news groups sur lesquels va tel ou tel internaute -- permettent de savoir quels sont les sites qu'a visité tel ou tel internaute, à partir de son nom ou de son adresse électronique ? »

    Serge Aumont.

    « Concernant la deuxième partie de votre question : non. Il n'existe pas de site qui permette au grand public de savoir quelle est l'activité de surf d'une personne. Mais il existe un certain nombre de moyens pour retrouver tout ce qui est plus actif que la simple consultation. On va notamment pouvoir mettre en relation votre activité professionnelle, votre activité associative et, pourquoi pas, des activités personnelles. Dès lors que celles-ci laissent une trace sur l'Internet, on va pouvoir les mettre en relation.

    Concernant la protection contre le spam : les protections sont basées sur des filtres. Toute la difficulté est de régler le filtre pour qu'il retienne effectivement le spam sans retenir les messages pertinents. C'est très difficile à faire, il n'y a pas vraiment de méthode. C'est très coûteux, beaucoup plus coûteux que d'émettre un spam. »

    Le président.

    « Une question d'un juré. Madame, allez-y… »

    Yasmin Kaplun.

    « Je voulais simplement, pour permettre de rendre un verdict tout à l'heure, savoir en quoi l'accusé ici présent, entrave les libertés dans ce que vous avez présenté tout à l'heure comme étant le spam, le cookie ? N'est-ce pas plutôt l'utilisation qui en est faite par certaines personnes et non pas l'accusé présent aujourd'hui… »

    Le président.

    « Il ne faut pas montrer le début du doigt de son opinion. Attention… »

    Serge Aumont.

    « L'Internet permet l'anonymat. Pour l'émetteur du spam, il est très facile de se cacher. L'irresponsabilité est encouragée. J'ai oublié de donner les exemples que j'avais mentionnés : on reçoit des spams tout à fait scandaleux dans un tas de domaines. Cela va des sectes aux partis néonazis en passant par la pornographie et tout ce qui s'ensuit.

    Internet allie ce côté irresponsable, la puissance représentée par la possibilité de joindre des millions de personnes ainsi que -- facteur aggravant car allié aux deux autres -- un coût économique particulièrement avantageux pour le spammeur. C'est l'alliance de ces trois propriétés qui rend Internet particulièrement dangereux dans ce domaine. »

    Le président.

    « Le juriste que je suis trouve la parade immédiate. Elle existe en matière de vente avec envoi forcé et il suffirait d'adapter cette loi à l'envoi du spam. Ça pourrait peut-être tarir les choses.

    Un autre juré voulait poser une question… »

    Arnaud Brunet.

    « Pour éclairer la cour, pourriez-vous nous expliquer ce qu'est le flame ? J'ai entendu dire que dans un monde autorégulé, comme celui de l'Internet à l'origine, la réponse au spam c'était le flame . Pourriez-vous nous éclairer sur… »

    Le président.

    « On a du mal à respecter l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 dont j'ai parlé ce matin ! Répondez quand même. Admettons que ce soit une marque déposée… admettons ! »

    Serge Aumont.

    « Le flame, je ne sais pas ; le spam en est une !

    Il s'agit d'engager des représailles contre celui qui a pollué, qui a transgressé les règles de la netiquette, si ce n'est celles du droit. Mais on est dans un État de droit. Qu'est-ce qui autorise des gens à prendre eux-mêmes l'initiative de jouer les redresseurs de tort ? Deuxième élément de réponse, technique. Une des méthodes de base du spammeur est de se faire passer pour un autre. En général, en déclenchant des représailles, on crée une nouvelle victime. »

    Pierre-André Billote.

    « Je crois que vous êtes un des grands spécialistes des réseaux universitaires, est-ce que vous faites une sélection des sites les plus fréquentés par les universitaires et les étudiants ?

    -- Il est tout à fait évident que nous nous interrogeons sur la nature de l'utilisation de l'infrastructure de la recherche…

    -- Quel est le site le plus fréquenté par les universitaires ?

    -- Vous me permettrez de dire que dévoiler cette information serait à coup sûr attenter à des libertés !

    -- Mais vous l'avez ?

    -- Bien entendu. Cette information est une information de gestion technique du réseau qui est capitale.

    Je n'ai pas abordé le sujet de la surveillance des employés dans une entreprise à partir de leur utilisation de l'Internet. Il est très rare que les syndicats ou les comités d'entreprise aient été informés des moyens dont dispose leur employeur. »

    Le président.

    « Est-ce qu'il y a d'autres questions ? … Oui, madame le juré… »

    Michèle Lemeur.

    « J'aimerais demander à monsieur l'expert quel temps il considère qu'il travaille avec Internet à combattre le spam ? Quelle est la proportion ? »

    Serge Aumont.

    « J'utilise toute ma journée pour travailler avec Internet -- pour Internet -- et le tri du spam m'a occupé à plein temps, en tant qu'activité professionnelle. Il continue à polluer ma boîte aux lettres, c'est une gêne qui est difficilement quantifiable. J'ai parlé de dilution de l'information pertinente par une information qui ne l'est pas, c'est une chose que j'ai du mal à quantifier en heures. »

    Le président.

    « Pas d'autre question mesdames et messieurs les jurés ? La défense de l'accusé ? »

    L'avocat de la défense.

    « Monsieur le président, mesdames et messieurs de la cour, deux petites questions générales. La première à monsieur le professeur : monsieur le professeur, vous avez indiqué que vous appeliez de vos vœux telle législation qui viendrait encadrer la liberté de l'Internet -- de ma cliente. Mais, en votre qualité de professeur, vous ne pouvez pas ignorer les dispositions de l'article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde qui justement, dans une société démocratique, dit que cette liberté ne peut être encadrée qu'avec les plus extrêmes réserves. Comment pensez-vous que cette législation pourra se mettre en place ?

    Et, très rapidement, une petite question à monsieur Aumont : vous avez indiqué qu'on vous avait proposé une cuisine. L'avez vous achetée ? Et en êtes-vous content ? ! »

    Le président.

    « Alors monsieur le professeur d'abord, puis après on saura si madame Aumont est contente. »

    Gilles Guglielmi.

    « La réponse à la question est simple : je crois qu'il faut faire confiance au législateur français qui, par ailleurs, encadre d'autres libertés publiques et le fait couramment. Le Conseil Constitutionnel est là pour le contrôler.

    Je ne crois pas qu'on puisse dire que le législateur français ait une tendance manifeste à violer les libertés publiques, donc je crois que l'article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales sera parfaitement respecté. Il y a des garanties dans l'État de droit français pour cela. Voilà la réponse que je peux faire. »

    Le président.

    « Et pour monsieur Aumont -- en traduisant la question -- est-ce qu'il y a du bon spam ?

    -- Non, il n'y a pas de bon spam. Concevez-vous de la cochonnerie même pas assez bonne pour des Anglais qui serait bonne pour moi ?

    -- La réponse est claire ! Pas d'autre question à poser aux témoins ? Donc la cour va libérer ces témoins qui sont retenus par d'autres occupations. Et puis on va appeler… »

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Questions aux témoins
Accueil Rétrospective Procès Loi OnTheInternet Pics Contact
Avant-propos
Introduction
Chefs d'inculpation
Inculpation 1
Jury
Partie civile
Témoins, experts
Interrogatoire
Lecture de l'acte
Demande report
A. Miller
Q. Miller
A. Lasfargues
A. Soriano
A. Jousselin
Q. témoins
Pièces
Reprise
Partie civile
Avocat général
Défense
Inculpation 2
Lecture de l'acte
Témoins, experts
A. Guglielmi
A. Aumont
Q. témoins
A. Pouzin
A. Georges
Q. témoins
Partie civile
Avocat général
Défense
Accusé
Verdict
Inculpation 3
Jury
Lecture de l'acte
Interrogatoire
Pièces
Témoins, experts
A. Mathias
A. Martin Lalande
A. Léon
A. Pélissier
A. Godin
Q. témoins
Partie civile
Avocat général
Défense
Inculpation 4
Lecture de l'acte
Témoins, experts
Pièces
A. Villain
A. Beaussant
A. Novaro
A. Soubeyrand
Q. témoins
Partie civile
Partie civile
Avocat général
Défense
Clôture
Verdict, sentence
Mot de la fin
Interventions
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