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    Le greffier.

    « Monsieur Yves Léon. »

    Le président.

    « Je vais vous demander votre nom.

    -- Yves Léon.

    -- Léon c'est votre nom et Yves c'est votre prénom. Votre âge ?

    -- Comme les autres !

    -- Ha ! Il évolue comme les autres, mais il se stabilise tous les jours à une date qui est différente…

    -- Comme mon prédécesseur.

    -- La cinquantaine florissante.

    -- Ça roule…

    -- Ça roule beaucoup, oui ! Et ça, malheureusement, Internet n'y peut rien. Votre profession ?

    -- Télé-travailleur.

    -- Ha ! Oui, c'est un beau métier. La ville de votre exercice professionnel ?

    -- Le téléspace du Vercors à Villard-de-Lans.

    -- Est-ce que vous êtes dans un lien de famille ou de dépendance à l'égard d'Internet qui pourrait compromettre la sûreté de votre jugement ?

    -- Aucunement.

    -- Vous allez jurer d'apporter votre concours à la justice en votre honneur et en votre conscience. Vous levez la main droite et vous dites : je le jure.

    -- Je le jure !

    -- Nous vous écoutons, monsieur l'expert. »

    Yves Léon.

    « Je vous remercie, monsieur le président. Je voudrais commencer par dire que dans le cadre de l'expertise qui m'a été confiée, je fais depuis quelques instants l'objet d'un trouble car, ayant rencontré Internet… »

    Le président.

    « Sachez vous tenir monsieur l'expert… sachez vous tenir !

    -- Oui, mais je constate que parmi la cour, certains membres, en particulier certains membres du jury, malgré des changements de cravate manifestent une émotion qui ne m'est pas propre…

    -- Ils vont se figer… Allez-y, continuez.

    -- Je voudrais ensuite dire que j'aurais souhaité faire une télé-expertise, mais qu'il semble que la loi française ne permette pas encore ça. Je suis donc conduit à lire un papier et à être ici présent de manière physique.

    -- Tant que votre vue le permet… »

    Yves Léon.

    « Vous me donnez, monsieur le président, une transition immédiate sur la fracture sociale. C'est l'un des éléments que j'aborderai dans un instant dans mon exposé technique. Je dois dire que l'analyse que nous avons faite a porté sur trois aspects de la fracture qui sont : la richesse sous l'angle financier, le temps et l'accès au savoir et à l'information.

    Sur la richesse, je voudrais rappeler techniquement ce qu'est l'Internet. D'un point de vue technique, Internet est en fait un énorme tuyau autour duquel s'agitent des souris -- et quelquefois des mulots -- malheureusement aussi quelques rats ! Le propre d'Internet est donc de faire circuler de l'information et cette vitesse de circulation est fonction de l'agilité des mulots, de l'agilité des souris et de la taille des tuyaux. Internet, nous avons constaté cela depuis quelques temps, permet un flux de circulation qui s'est notablement accéléré, même si on peut encore s'interroger sur des améliorations qui seraient nécessaires. Ce flux créé lui-même, par son accélération, une valeur ajoutée que l'on peut qualifier de richesse.

    Sur la question que vous m'avez posée quant à la richesse, je dis de manière claire qu'Internet augmente la richesse. J'ajoute que l'accès à cette richesse n'est pas problématique puisque ce ne sont plus les détenteurs de capitaux, comme dans les industries lourdes traditionnelles, qui sont les acteurs principaux. C'est aussi ouvert à des investisseurs avec de faibles ressources. Il suffit d'être capable d'élever des souris et des mulots en évitant d'être pollué par des rats. Donc sur ce point précis, je pense que la fracture sociale n'est pas aggravée par Internet de manière notable, à condition que les règles que je viens d'édicter soient respectées.

    Je voudrais traiter, avant le problème du temps, celui du savoir et de l'information. Georges Mermet indique entre qu'entre 1800 et 1996, le temps consacré au travail est passé de 48 à 12 %. Curieusement sur la même période, le temps consacré aux loisirs est passé de 6 à 31 %. Ces chiffres montrent bien que l'accès au savoir devient quelque chose qui est tout à fait déterminant. Ce phénomène est accompagné d'un phénomène de mondialisation qui a été largement évoqué, sur lequel je ne reviendrai pas.

    À l'inverse, il est nécessaire aujourd'hui de bien maîtriser les composants techniques, ce qui fait qu'à notre sens, la fracture sociale -- que l'on doit analyser sur le plan du savoir -- n'est plus liée en aucune manière aux aspects traditionnels que l'on a l'habitude de voir traités par notre presse, mais beaucoup plus aux aspects concernant l'agilité que l'on a à maîtriser une souris ou un mulot. Donc je prétends, après une analyse technique approfondie, que la France est beaucoup plus divisée entre possesseurs et non possesseurs de souris et mulots. Je suggère que, dorénavant, dans la classification de la fracture sociale, cet aspect soit pris en compte, en particulier par notre institut national de statistiques. Je n'ai trouvé, malheureusement, pour éclairer la cour, aucun élément sur la possession de mulots et de souris dans les foyers français et encore moins dans l'Administration française. Donc je suis obligé de dire à la cour que, sur ce point, je ne l'éclairerai pas de manière totalement satisfaisante.

    Sur le dernier élément qui est le temps, je pense qu'il faut d'abord rappeler que le sous-dimensionnement notoire d'Internet, dans certains cas de figure -- le témoin précédent l'a rappelé, je crois -- fait apparaître que la fracture est beaucoup plus entre structures qui sont connectées sur des réseaux à large bande passante et structures qui sont connectées sur des réseaux à petite bande passante que sur les critères habituels. Là également, l'INSEE ne nous fournit aucun élément précis d'analyse, ce qui rend nos travaux extrêmement difficiles.

    Je pense qu'à l'inverse, un certain nombre de règles du jeu différentes ont été rendues possibles par Internet. C'est en particulier le cas du télé-travail. Je voudrais juste vous donner un chiffre : nos études montrent, de manière très précise, qu'en l'an 2000, l'Europe comptera dix millions de télé-travailleurs sur environ cent soixante millions de travailleurs tout court. Vous voyez que c'est un phénomène massif, rendu possible par Internet, qui suppose une analyse en terme de fracture complètement différente de toutes celles qui ont été menées jusqu'à maintenant.

    Le télé-travail permet une réduction des coûts de transport, une réduction de la pollution de l'environnement et permet probablement une amélioration de la vie de famille. À l'inverse, le télé-travail procure ou créé des risques d'isolement si certaines perspectives ne sont pas réalisées.

    Enfin, je voudrais terminer sur un témoignage tout à fait précis. Le festival du télé-travail et des télé-activités qui est organisé de manière régulière -- prochainement à Serre-Chevalier -- nous a montré que la répartition sociologique n'était absolument pas liée à la richesse et à l'analyse classique sociologique mais beaucoup plus à la possession de mulot et de souris et, nous comptons d'ailleurs beaucoup de mulots et de souris comme participants à cette activité. »

    Le président.

    « La cour vous remercie. Pour une fois qu'elle comprend un expert ! Vous pouvez vous asseoir.

    Vous pouvez faire venir l'expert suivant… »

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Audition d'Yves Léon
Accueil Rétrospective Procès Loi OnTheInternet Pics Contact
Avant-propos
Introduction
Chefs d'inculpation
Inculpation 1
Jury
Partie civile
Témoins, experts
Interrogatoire
Lecture de l'acte
Demande report
A. Miller
Q. Miller
A. Lasfargues
A. Soriano
A. Jousselin
Q. témoins
Pièces
Reprise
Partie civile
Avocat général
Défense
Inculpation 2
Lecture de l'acte
Témoins, experts
A. Guglielmi
A. Aumont
Q. témoins
A. Pouzin
A. Georges
Q. témoins
Partie civile
Avocat général
Défense
Accusé
Verdict
Inculpation 3
Jury
Lecture de l'acte
Interrogatoire
Pièces
Témoins, experts
A. Mathias
A. Martin Lalande
A. Léon
A. Pélissier
A. Godin
Q. témoins
Partie civile
Avocat général
Défense
Inculpation 4
Lecture de l'acte
Témoins, experts
Pièces
A. Villain
A. Beaussant
A. Novaro
A. Soubeyrand
Q. témoins
Partie civile
Partie civile
Avocat général
Défense
Clôture
Verdict, sentence
Mot de la fin
Interventions
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