L'huissier.
« Monsieur Pierre Novaro, commissaire divisionnaire, chargé de mission Nouvelles Technologies de l'Information auprès du ministère de l'Intérieur, expert technique. »
Le président.
« Monsieur, je vais vous demander votre nom, votre prénom.
-- Novaro, Pierre.
-- Votre âge ?
-- 45 ans.
-- Votre profession ?
-- Commissaire divisionnaire de police.
-- Votre lieu d'exercice professionnel ?
-- Je suis chargé de mission au ministère de l'Intérieur pour les nouvelles technologies de l'information.
-- Est-ce que vous êtes dans un lien de famille ou de dépendance à l'égard d'Internet -- entre guillemets -- qui ferait que vous n'auriez pas une vision impartiale des problèmes ?
-- Non, monsieur le président, je ne suis ni allié, ni parent avec la victime.
-- Avec l'accusée…
-- Avec l'accusée, pardon !
-- Lapsus révélateur ! »
S'adressant à l'avocat de la défense qui se manifeste…
« Vous demandez à ce que l'on donne acte ? Nous allons acter que l'expert a dit qu'Internet était une victime ! C'est un lapsus révélateur. Tout à l'heure, je vous avais appelé Navaro, mais c'est quelqu'un de votre famille qu'on voit dans une étrange lucarne…
-- Absolument, mais ce n'est pas quelqu'un de ma famille.
-- Mais dans votre métier, ça doit beaucoup vous aider pour l'avancement…
-- Euh…
-- Vous jurez d'apporter votre concours à la Justice, en votre honneur et en votre conscience. Vous levez la main droite et vous dites : je le jure.
-- Je le jure !
-- Et bien monsieur l'expert, si vous voulez faire votre déposition… »
Pierre Novaro.
« Nous avons fait la connaissance d'Internet dans l'environnement policier, il y a un certain nombre d'années et c'est progressivement que nous avons examiné quelles étaient les réponses que nous pouvions apporter aux risques entraînés par le développement d'Internet. Il ne s'agit pas d'envisager le risque que représente Internet en lui-même, mais d'envisager les dérives qui pourraient apparaître avec Internet.
En fait, on s'est aperçu qu'Internet ne posait pas un problème spécifique au fond du droit mais simplement qu'il fallait pouvoir continuer à appliquer les textes tels qu'ils étaient, tels qu'ils existaient avant son avènement. Cela était d'autant plus facile que l'environnement de l'information n'est pas apparu avec le développement d'Internet, la télématique nous a aidé à faire la transition.
De nombreuses lois concernant l'information elle-même sont apparues depuis 1978 avec la loi Informatique et Libertés, en 88 avec l'ex-loi Godefrain qui est aujourd'hui partie intégrante du Code Pénal et puis nous avons un certain nombre de lois qui sont relatives à l'information et à la criminalité à caractère informationnel ; je pense au révisionnisme, à la diffamation, à l'incitation à la haine raciale. À côté de ces infractions qui existaient déjà dans le domaine de l'information, on a vu Internet être utilisé -- sans doute à son corps défendant -- dans la commission ou pour la facilitation d'infractions tout à fait classiques.
C'est ainsi que la délinquance financière a pu, grâce à l'informatique, recevoir, je dirai, un coefficient multiplicateur dans les préjudices occasionnés. On pense que le développement des autoroutes de l'information, d'une manière générale, risque d'accroître la facilitation des infractions. Pourquoi ce coefficient multiplicateur ? Parce que les auteurs d'infractions classiques avaient le sentiment de la transgression. Lorsqu'on ouvre un coffre, qu'on fracture une porte, lorsqu'on franchit une barrière, on a bien le sentiment de commettre une infraction alors que lorsqu'on commet une infraction du bout de ses doigts, sur un clavier, on a peut-être un certain sentiment de légèreté qui fait que ce n'est pas vraiment une transgression. Peut-être aussi que les auteurs de ces infractions estiment que la traçabilité qui permettra de remonter jusqu'à eux va être rendue plus difficile par les nouvelles technologies utilisées, grâce au débit, à la fugacité des informations, aux protocoles de transmission, à l'aspect international de l'infraction, à la dissémination des éléments constitutifs de l'infraction ou à l'internationalité des victimes.
Toutes ces questions ont été évoquées et nous avons estimé que tout cela ne touche pas le droit au fond mais simplement qu'Internet pouvait être un vecteur ou un mode opératoire nouveau. En cela, nous avons pensé qu'il fallait apporter quelques modifications aux instruments de coopération judiciaire internationale. Lorsqu'Interpol intervient dans des investigations à caractère purement classique, la transmission des questions et des réponses peut prendre un certain temps. À cause de la fugacité des informations, il fallait peut-être mettre en place des instruments de coopération judiciaire internationale nouveaux, adaptés. Deuxièmement, il faudrait peut-être aussi mettre en place sur Internet des instruments qui permettent la traçabilité et je vais vous expliquer quelle est notre idée.
Jusqu'à présent, lorsque des affaires sont arrivées en justice, on n'avait devant nous que des personnes qui étaient abonnées et le fournisseur d'accès qui était connu. Par contre, on avait beaucoup moins de facilité à connaître celui qui était, à mon avis, le véritable responsable, c'est-à-dire l'auteur de l'information qui présente une infraction. Finalement, seuls ceux qui étaient connus encourraient la sanction. Je crois que pour que l'on soit plus équitable, il faut que la véritable poursuite s'engage à l'égard de celui qui est l'auteur de l'infraction en matière d'information ou de celui qui commet une infraction grâce à Internet. Pour cela, il faut faire de la traçabilité, c'est-à-dire qu'Internet doit nous permettre de remonter jusqu'à l'auteur.
Aujourd'hui, tout cela repose sur la bonne volonté des fournisseurs d'accès, la bonne volonté des gestionnaires de serveurs, de réseaux, etc. Il faudrait peut-être que des dispositifs, comme c'est maintenant conseillé au niveau de l'Union Européenne, puissent être implémentés et pour cela qu'un statut véritable du fournisseur d'accès apparaisse. D'un côté, on aurait le fait qu'il ne serait pas responsable a priori. Dans la mesure où il n'a pas lui-même mis des informations dans des services en ligne et où il n'est pas lui-même auteur d'une information qui présente une infraction, il ne serait pas lui-même considéré comme responsable. A contrario, il serait tenu de mettre en place des instruments permettant la traçabilité sur la base de réquisitions légalement formulées.
Voilà quelle est la position qui est adoptée et soutenue au ministère de l'Intérieur. Nous pensons qu'Internet est le lieu de commission d'infractions, il n'est pas un auteur d'infraction, il ne présente pas un danger en soi. Mais par contre, il va falloir mettre en place quelques instruments tenant à la procédure pénale pour qu'Internet soit un nouveau lieu tout à fait sain, pour que le commerce électronique puisse se développer dans de bonnes conditions. »
Le président.
« Je vous remercie monsieur le commissaire, on va vous poser des questions tout à l'heure. Si vous voulez bien vous asseoir à côté de l'autre expert.
On va entendre le dernier témoin de la défense. »
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