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    L'avocat de la défense.

    « Bernard Boudard, vous connaissez ? Boudard, 42 ans… un accident… un accident bête… un accident de plongée. Ça vous dit quelque chose ? Boudard… plus de ski, plus d'escalade, plus de voyage… Boudard… cassé… assis dans sa chaise roulante.

    Et bien, Boudard, il surfe ! Il surfe sur l'Internet, il pianote sur son clavier, il visite des bibliothèques, il explore le monde, il visite des musées, il rencontre des amis. Boudard et l'Internet ! Je pourrais continuer longtemps avec cet exemple -- l'exemple est facile -- je pourrais vous en trouver d'autres.

    Mais je préfère vous parler de la vérité -- de la vérité de l'Internet -- parce que la vérité de l'Internet c'est le doute ! Il n'est plus temps de débattre pour ou contre l'Internet, ce débat est dépassé. Certes, toutes les nouveautés en provenance du monde cybéral, du monde digital, de ce monde numérique, ne sont pas des monstres et tous les adeptes de l'Internet ne sont pas des anges. Les enfants de l'Internet ont pour certains bien tourné, pour d'autres, je vous l'accorde, ils ont mal tourné.

    Mesdames et messieurs les jurés, je ne vous demande pas un acquittement aveugle, je ne vous demande pas un acquittement en blanc. Je vous demande de douter. De douter de l'Internet, de ma cliente ; je vous demande de douter de ce qu'a pu vous dire monsieur l'avocat général ; je vous demande de douter de moi et ensuite, ensuite seulement, une fois que vous vous serez forgé votre intime conviction, alors rendez votre verdict !

    Commençons par un voyage virtuel. Les chefs d'accusation retenus contre ma cliente… nous allons en parler. Nous allons parler du Minitel, nous allons parler du prix, nous allons parler de la fracture sociale, nous allons parler de la fracture culturelle mais, monsieur l'avocat général, vous n'avez pas été convaincant. D'ailleurs, à ma connaissance, vous faites partie du club Juges-Net !

    Vive la souris ! Vive l'hypertexte ! Java ! Regardez bien l'Internet : vous découvrez aujourd'hui un nouveau continent, le septième continent, et vous allez le contourner ? Vous allez refuser de l'explorer ? Vous allez refuser d'y pénétrer ?

    On vous a dit tout à l'heure : l'Internet est coûteux . Mais c'est faux monsieur l'avocat général, c'est totalement faux ! C'est même parce que l'Internet est gratuit -- ou ne coûte pas grand chose -- que le Minitel est en train d'agoniser. L'erreur est grossière. C'est faux monsieur l'avocat général ! Le prix de l'abonnement à l'Internet ? Soixante à cent cinquante francs. Quelle belle affaire : c'est peut-être le prix du taxi que vous aurez à payer tout à l'heure pour rentrer chez vous. C'est vrai, vous avez raison, il faudra un modem ; il faudra un ordinateur ; il faudra un navigateur ; il faudra des investissements… Avec madame Godin, avec messieurs les experts qui sont venus tout à l'heure vous l'avez vu : il y a aujourd'hui création de cyber espaces. L'exemple du cyber espace de la mairie de Boulogne est quand même éloquent ! Création de cyber cafés : des milieux de rencontres vrais pour permettre des rencontres aussi dans des lieux virtuels. Vous voyez donc qu'il est possible de surmonter cet obstacle et que l'Internet ne coûte pas chez. Et puis les prix baissent, vous le constatez tous les jours. Les dix dernières années, les matériels ont baissé de prix, les communications ont baissé de prix, tout baisse de prix ! Les modems : moitié prix. Monsieur l'avocat général, tout baisse et puis enfin l'Internet n'appartient à personne, l'Internet est à vous ! À vous ! À vous également ! À tous ! L'Internet, c'est la gratuité. Non ! L'Internet ne coûte pas cher.

    On vous a dit qu'Internet est en train de tuer le Minitel. Mais c'est faux. Minitel serait aujourd'hui un modèle ? Minitel une référence ? En 1980 : naissance du Minitel ; 1986 : hémorragie grave, sauvé par quoi ? Minitel rose ! Et puis les codes montent : 3613 ! 3614 ! 3615 ! 3616 ! 3617… et ça continue. Code Jennifer, prix moyen de la communication : 5,57 F la minute ! Gratuit son équipement ? Non, je vous l'accorde : les contribuables ont participé à son prix. Quels services ? Franco-français, déclinaison de gris alors que l'Internet vous offre d'explorer le monde en sons, en musique et en couleurs. Vous voyez bien : Minitel n'a aucun intérêt et s'il meure, c'est de vieillissement prématuré, c'est tout simplement de maladie, le petit-petit-petit Minitel est en train de mourir certes, mais aucune trace de coup ! Mesdames et messieurs les jurés, aucune trace de coup ! Non, l'Internet ne tue pas le Minitel.

    Vous avez encore dit : Internet, cause de la fracture sociale ! Au contraire ! L'Internet apporte des solutions concrètes. Réductrices du chômage, vous l'avez bien vu avec l'exemple des efforts portés dans les différentes mairies. Je n'insisterai pas, les exemples qui vous ont été donnés tout à l'heure illustrent suffisamment le propos. L'Internet contribue à la croissance, contribue à la croissance économique. Prenez l'exemple des sites Web : aujourd'hui, n'importe quelle entreprise peut s'équiper d'un site Web et faire connaître au monde entier -- au monde entier -- ses produits. Investissement ? Dix à cent cinquante mille francs, mettons cent cinquante mille. Mais qu'est-ce que cent cinquante mille francs quand vous pensez aux investissements qu'il faut faire pour créer un réseau de distribution, pour les frais de publicité, pour les voyages nécessaires pour établir des contacts ? L'Internet source de croissance économique, mais c'est indiscutable… c'est indiscutable. Prenez le livre Cyber Planète, j'aurais pu faire citer ses auteurs : Philip Wade et Daniel Falcan. J'aurais pu les citer. Deux exemples ! Premier exemple une petite entreprise lilloise, la Société Doublet avec quatre-vingt-dix millions de chiffre d'affaires et deux cent cinquante salariés. Grâce à l'Internet, grâce à ma cliente, grâce à sa rapidité, à sa flexibilité, à l'interactivité qu'elle offre, la Société Doublet a pu obtenir un marché fabuleux : les drapeaux des Jeux Olympiques d'Atlanta ! Grâce à quoi ? Grâce à l'Internet. Regardez, page 115 ! Deuxième exemple : la Société DoriSpace, une société bretonne qui aujourd'hui occupe le marché aux États-Unis, dans des pays d'Asie, dans plusieurs pays d'Europe. Comment ? Tout simplement en participant à des forums consacrés à l'architecture. Cette entreprise a fait connaître son architecture originale : elle crée des maisons en forme de soucoupe, anti-sismiques, qui pivotent en fonction de l'orientation du soleil et elle a décroché des marchés dans le monde entier. Voilà des exemples qui démontrent que l'Internet a favorisé la croissance économique. Deux entreprises françaises ont pu ainsi jouer une carte au niveau du marché mondial.

    Non, l'Internet n'est pas cause de fracture sociale, ni d'isolement géographique ou physique. Un exemple ? Celui de ce chercheur africain qui vient de terminer sa thèse à Paris. Il m'a dit qu'il préparerait ses recherches à Yaoundé s'il pouvait bénéficier d'une connexion Internet continue et fiable, parce qu'il préfère vivre à Yaoundé même si sur place, les salaires sont trois fois inférieurs à ceux qu'il pourrait avoir en Europe. Encore un exemple : mercredi dernier à l'occasion d'un dîner chez des amis, l'un d'eux me parlait de son conjoint qui souffre d'une maladie rare, des années dans un lit. Grâce à l'Internet, il a pu se connecter et découvrir deux autres internautes et ils ont pu constituer une solidarité, établir entre eux le lien qu'il fallait pour partager leurs connaissances et leurs vécus d'une situation difficile. Voilà la preuve que l'Internet ne crée pas l'isolement que vous avez dénoncé.

    L'Internet favorise la culture. Pas de fracture culturelle non plus ! C'est même l'unique moyen de démocratiser, de permettre l'accès de chacun à l'information, à cette énorme mémoire planétaire, à cette base de données planétaire. Elle vous permettra toujours de trouver l'information que vous cherchez, que vous soyez passionné des discours de Jules Ferry, des batailles napoléoniennes ou du premier album des Beatles, vous trouverez toujours sur Internet, toujours, à tout moment, l'information que vous cherchez.

    L'Internet démocratise également l'enseignement ! Pièce communiquée numéro 40 : Interview de Michel Serres . Il nous explique qu'aujourd'hui, beaucoup de gens ne peuvent pas accéder à l'information, qu'aujourd'hui encore, ils n'ont pas les moyens de combler ces distances, qu'aujourd'hui encore l'espace est source de difficultés pour accéder à l'information. Et pour la première fois de l'histoire, nous sommes dans une situation où c'est le savoir qui va vers les gens au lieu que les gens soient obligés d'aller vers le savoir. C'est le savoir qui va vers les gens ! Vous le voyez bien : pas de fracture culturelle. Vous avez lu l'histoire de Pierre Vallade, cet instituteur qui a eu cette idée extraordinaire de connecter sa classe de CM1-CM2 au monde entier ! Un petit village… un tout petit village -- Piques Causses -- trois cent huit habitants qui, aujourd'hui, n'ont plus rien à envier au reste du monde. Piques Causses qui communique avec la terre entière, qui reçoit des visites de la terre entière et les petits écoliers de cette classe ont des copains dans le monde entier. Coût de l'abonnement ? Cent francs par mois ! Mais c'est Alice au pays des merveilles ! Vous avez encore l'exemple de ce lycée -- le lycée Jean Prévost -- qui forme des élèves à la compétition sportive. Ces élèves ne peuvent pas suivre les cours le deuxième trimestre. On les a équipés d'ordinateurs. Ils peuvent se connecter au serveur de l'école, suivre les matières qui les intéressent et réviser. Et figurez-vous que ça marche. Ça marche ! Expérience réussie !

    Vous le voyez bien, en fait de fracture sociale… jeunes, vieux, noirs, blancs, rats des champs, rats des villes… devant nos ordinateurs, connectés au monde entier, il n'y a plus aucune discrimination. Une adresse IP rencontre des adresses IP. Ni sexe, ni race, ni religion, ni politique, juste vous ! Simplement chacun de nous sur l'Internet à égalité de traitement. L'écrasement de la hiérarchie est la conséquence la plus visible de cette évolution et à l'échelle de l'entreprise, on vous l'a dit tout à l'heure, plus de discrimination, plus de hiérarchie. On peut communiquer. On peut, par la voie du courrier électronique, échanger des messages, on n'est plus obligé de passer par cette hiérarchie si lourde. Le salarié peut sans difficulté écrire à son patron.

    Pas de fracture sociale, pas de fracture culturelle.

    Je ne vous ai pas dit que ce monde virtuel était un monde idéal. Non ! Je ne vous dis pas que c'est un monde idéal. Ce que je vous dis, c'est que c'est un monde égal, c'est un monde profondément égal et, si vous condamnez ma cliente, vous fermez les portes du septième continent, vous fermez les portes de ce continent, vous fermez un continent à l'image de ce qu'était l'Amérique en 1492 : un pays neuf, un pays de libre échange, un pays où l'on voulait bâtir un Homme nouveau.

    Ne fermez pas les portes du septième contient. Ne revenez pas -- je vous en conjure -- ne revenez pas au siècle de l'obscurantisme ; ne revenez pas au siècle des sorcières ; ne revenez surtout pas au siècle de la calomnie, de l'accusation par ignorance et par peur. Je vous en conjure, nous entrons aujourd'hui dans le 21e siècle et l'Internet nous propose de faire de ce siècle un deuxième siècle des Lumières. Alors, je vous en conjure, faites taire les accusations infamantes qui sont portées contre elle, parce que moi j'ai confiance et je la remercie pour tout ce qu'elle fait. Je la remercie et je vous demande, mesdames et messieurs les jurés… je vous demande de l'acquitter ! »

    Le président.

    « La cour vous remercie maître Féral-Schuhl. Je crois qu'elle peut remercier l'avocat de la partie civile et l'avocat de la défense pour leur talent. Dans cette salle, il y a une centaine d'année, Zola a été jugé pour ce qu'il avait écrit. Les propos qui sont tenus sur l'Internet montrent que la communication est une donnée importante. Je crois que cela n'est pas étranger que cette affaire soit évoquée ici : à la place même où est l'accusée, s'est tenu Émile Zola, qui avait accusé.

    L'audience est suspendue, elle reprendra sans faute à 14 h. »

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Plaidoirie de la défense
Accueil Rétrospective Procès Loi OnTheInternet Pics Contact
Avant-propos
Introduction
Chefs d'inculpation
Inculpation 1
Jury
Partie civile
Témoins, experts
Interrogatoire
Lecture de l'acte
Demande report
A. Miller
Q. Miller
A. Lasfargues
A. Soriano
A. Jousselin
Q. témoins
Pièces
Reprise
Partie civile
Avocat général
Défense
Inculpation 2
Lecture de l'acte
Témoins, experts
A. Guglielmi
A. Aumont
Q. témoins
A. Pouzin
A. Georges
Q. témoins
Partie civile
Avocat général
Défense
Accusé
Verdict
Inculpation 3
Jury
Lecture de l'acte
Interrogatoire
Pièces
Témoins, experts
A. Mathias
A. Martin Lalande
A. Léon
A. Pélissier
A. Godin
Q. témoins
Partie civile
Avocat général
Défense
Inculpation 4
Lecture de l'acte
Témoins, experts
Pièces
A. Villain
A. Beaussant
A. Novaro
A. Soubeyrand
Q. témoins
Partie civile
Partie civile
Avocat général
Défense
Clôture
Verdict, sentence
Mot de la fin
Interventions
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Tournage
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